Pour les historiens et les amateurs d'histoire
La question directrice d'Une histoire en actes est celle de savoir quelles sont les nouvelles formes que le savoir historique peut prendre aujourd'hui. Nous partons d'un paradoxe. De nombreux jeux vidéo ont trait à l'histoire en ce que l'action du jeu se déroule dans une époque révolue : la Rome antique, la Révolution française, la Seconde Guerre mondiale. Cependant, que ces jeux relèvent des genres du City Builder (Caesar IV ), du jeu d'action-aventure en monde ouvert (Assassin's Creed Unity ), ou du First Person Shooter (Call of Duty : World War II ), l'inscription du jeu dans telle ou telle époque est un simple habillage qui participe à l'attrait du jeu. L'action du jeu n'est pas définie par les formes de vie qui sont propres aux sociétés évoquées. S'il n'est d'aucun secours de bien connaître la période de la Révolution française pour s'y retrouver dans Assassin's Creed Unity, il est utile, en revanche, d'avoir déjà joué à un des précédents jeux de la série, par exemple le premier qui se déroule en Terre sainte durant la troisième croisade au XIIe siècle. La même remarque s'applique à Call of Duty : World War II, dans lequel le joueur combat des nazis en France alors que le jeu précédent se déroulait au cours d'une troisième guerre mondiale de science-fiction. Il est d'un plus grand secours, enfin, de connaître les principes du City Builder que de connaître l'histoire romaine pour jouer à Caesar IV.
Notre question est la suivante : est-il possible, au rebours de ce dont nous faisons ici le constat, de concevoir un jeu vidéo dont l'action soit définie à partir des formes de vie qui sont propres à une époque donnée ? Le joueur se familiariserait par la pratique du jeu non pas avec les principes de tel genre ou série de jeux, mais avec les logiques qui ont gouverné par exemple les décisions des spéculateurs lors des grands travaux d'Haussmann à Paris. Il ferait l'expérience que les opportunités et les obstacles ne sont pas, au fil du temps, les mêmes et que le cadre dans lequel il inscrit ses initiatives peut se transformer du jour au lendemain : après la révolution de 1848 et l'épidémie de choléra de 1849, Napoléon assouplit en 1852 les conditions auxquelles il est possible d'exproprier sous couvert de favoriser les conditions d'hygiène, mais dès 1858, le Conseil d'État réaffirme les droits des propriétaires. La spéculation immobilière ne se pratique plus de la même manière. La question de savoir à quelles conditions il est possible de constituer un jeu vidéo dont l'action soit précisément définie en fonction de ce qui constituaient les enjeux des initiatives des acteurs d'un mode social donné en croise une autre : comment renouveler les ressorts du jeu vidéo ? Comme le met en évidence Chris Crawford, ils reposent toujours sur le même type de relations, ce qui limite considérablement leur contenu.